Patrimoine vivant : À la découverte des plus anciens bâtiments de Quillebeuf-sur-Seine

10/07/2025

Entrer dans Quillebeuf, c’est feuilleter un vieux grimoire de pierres

Impossible d’arpenter les ruelles de Quillebeuf-sur-Seine sans ressentir ce parfum de temps suspendu. Sur moins d’un kilomètre carré, cette petite cité, posée sur la rive droite du fleuve, est un patchwork de façades à pans de bois, de tuiles plates, et d’ardoises grisonnantes. Ici, l’histoire n’a rien d’un musée poussiéreux : elle vit dans la maille serrée des maisons, murmure au détour d’une plaque en fonte, s’esquive sous les volets clos.

Mais où trouver, précisément, les plus anciens bâtiments du cœur de Quillebeuf-sur-Seine ? Comment les reconnaître, que raconter à leur sujet, et pourquoi méritent-ils qu’on s’y arrête ? Voici une promenade guidée entre patrimoine caché, réalités de l’histoire portuaire et petites anecdotes locales.

Une ville sous influences : pourquoi tant d’anciennes bâtisses à Quillebeuf ?

Dès le Moyen Âge, Quillebeuf fut « la porte de Normandie » pour les navigateurs de la Seine. Son port prospéra dès le XII siècle – en témoignent chroniques, actes royaux et relevés des ponts et chaussées (source BNF). Entre granit calvadosien, silex, briques et bois flotté, les bâtisseurs locaux fabriquèrent une cité à leur image : rude, commerçante, ouverte sur le monde.

Résultat ? Un centre-ville qui accumule sur quelques rues une densité rare de maisons authentiques à colombages, témoin du foisonnement des échanges entre Rouen, Honfleur et Paris. Malgré les destructions de la Seconde Guerre mondiale (près du quart de la ville fut touché en 1940), plus d’une vingtaine de bâtisses recensées dans le centre historique peuvent se targuer d’avoir 250, 300 ans, parfois plus.

Rue Notre-Dame : l’épine dorsale du vieux Quillebeuf

Coup de projecteur sur la rue Notre-Dame, artère principale depuis l’âge médiéval, qui concentre plusieurs des plus anciennes maisons de Quillebeuf.

  • Le 7 rue Notre-Dame : datée de la fin du XVI siècle par l’inventaire Mérimée/Monuments historiques. Cette maison à colombages, restaurée à la fin du siècle précédent, est reconnaissable à sa façade en encorbellement et ses fenêtres à petits carreaux. Elle servit longtemps d’auberge pour mariniers.
  • Le n° 15 : édifié en 1648 (date gravée sur la poutre maîtresse) ; a successivement appartenu à un maître de port puis à la famille Du Mesnil, négociants réputés dès le XVII s. Façade caractéristique à colombages « en fougère » et encadrement en brique.
  • 24-26 rue Notre-Dame : ancienne maison de l’armateur Lasnier (1727), témoin du passage du commerce vers la Royauté. Menuiserie intérieure d’origine et escalier tournant créent une ambiance presque inchangée depuis trois siècles.

À noter : la plupart de ces maisons conservent un puits ou cave attenante, essentialité quotidienne des familles de bateliers – chaque visite guidée du printemps y consacre quelques minutes, fidèle à la tradition locale.

Place Saint-Martin et alentours : sous l’œil bienveillant de l’église

Impossible d’ignorer l’imposante silhouette de l’église Saint-Martin. Classée Monument historique dès 1841, elle domine une placette où convergent plusieurs bâtisses séculaires :

  • Église Saint-Martin : élément le plus ancien du centre, elle fut édifiée à partir du XII siècle, remaniée au XVI. Son portail roman cantonne d’ailleurs des chapiteaux sculptés à motif végétal, typiques du roman normand. L’inscription « O Dea Pacis » sur la cloche principale daterait de 1492 (cf. base Palissy/Culture.gouv).
  • La cure / presbytère, cerné de son petit jardin : reconstruit sur des bases du XVII siècle, il suivait le schéma traditionnel « maison sur cave », permettant de stocker les livres et manuscrits bien au sec. Une fenêtre à meneaux en atteste sur la façade nord.
  • Maisons #2 et #3 de la place : partiellement remaniées, leurs caves voutées portent encore des traces de l’occupation anglaise (XVe siècle !), et des anneaux d’amarrage sont encastrés dans certains murs, souvenir des crues et bateaux naufragés.

Le dernier recensement patrimonial, conduit par l’INRAP en 2013, a souligné que ces caves, typiques des besoins de stockage du port, sont le plus souvent antérieures à la construction visible en surface. De vraies archives souterraines, pour qui sait regarder…

Boulevard Maritime et port : du patrimoine caché sous les crépis

Au fil du quai (la « grande jetée », comme on disait autrefois), le patrimoine semble moins éclatant : la plupart des façades côté Seine ont subi – au XIX siècle surtout – des ravalements en briques faïencées ou en ciment. Pourtant, entre les entrepôts délabrés et les hangars repeints, quelques bâtiments masquent des trésors :

  • Auberge du port, 3 boulevard Maritime : sous ses apparences récentes, une charpente attribuée à 1679, datation validée suite à une étude dendrochronologique menée en 2014 (source : DRAC Normandie).
  • Ancien Bureau de Douane : construit en pierre blanche en 1752, il s’élève toujours, quoique reconverti. Témoin de l’époque où l’on contrôlait ici l’intégralité du trafic maritime de la Seine.
  • Maison de pilote, angle quai et rue du Bac : attribuée au XVIII siècle, repérable à son faîte orné d’un coq en fer forgé, pourrait avoir abrité, selon la légende, un peintre du Paris des Années Folles venu chercher la lumière et la quiétude.

Aux abords du Châtelet et des fortifications : dernières traces défensives

Peu de visiteurs s’attardent aux limites du centre ancien, vers la rue du Châtelet et les anciennes fortifications. À tort, car plusieurs témoins précieux de la période médiévale s’y dressent encore :

  • Le Châtelet (ou porte du Châtelet) : vestige d’une porte fortifiée du XIV siècle, arasée à la Révolution. Sa tour ronde, intégrée à une habitation privée, fut un point de repli lors des crues majeures de 1651 et 1740.
  • Les pans conservés du mur d’enceinte : visibles entre les jardins du collège et la sente du Moulin. Certains tronçons de silex coquillé pourraient remonter à la fin du Moyen Âge, d’après l’étude archéologique dirigée par C. Lefèvre (Université de Rouen, 2012).
  • Maison dite « du Gouverneur » : petite bâtisse à contreforts, présente sur les cadastres napoléoniens. Elle aurait hébergé – occasionnellement – l’intendant chargé de la défense du port.

Anecdote locale : lors du creusement de la canalisation d’eau en 1878, des fragments de cuir et de poteries ont été découverts près de la Porte du Châtelet, preuve supplémentaire de l’ancienneté du lieu.

Visiter et reconnaître ces témoins du passé : conseils pratiques

  • Se repérer : Munissez-vous d’un plan du centre-ville (en Mairie ou à l’Office de Tourisme, place des Pilotes). Les maisons anciennes sont numérotées sur la carte patrimoniale.
  • Observer les détails : Porte sculptée, charpente apparente, fenêtre à meneaux, ferronneries… chaque détail raconte une histoire. N’hésitez pas à pousser jusqu’aux arrières-cours lors des Journées du Patrimoine (certaines sont alors exceptionnellement ouvertes).
  • Visites guidées : Chaque été, la ville propose des « balades commentées » : une occasion unique de pénétrer dans les cours d’anciens négociants et d’apprendre les petites histoires de chaque façade (Eure Tourisme).
  • Respecter la propriété : Beaucoup de ces maisons sont habitées. Levez les yeux mais restez discrets – c’est le secret d’un tourisme à taille humaine !

Pourquoi ces bâtiments traversent le temps : secrets et fragilités du bâti ancien

Le siècle et la marée auraient pu avoir raison des maisons de Quillebeuf. Pourtant, bâti sur pilotis, assises profondes, colombages de chêne, torchis et pierres récupérées : chaque matériau employé avait son utilité face aux tempêtes, crues, caprices du fleuve. Nombre d’immeubles ont survécu à la guerre, aux inondations de 1856, 1910 et 1947 (pertes documentées par les Archives départementales de l’Eure).

Mais cette résistance a une contrepartie : entretien coûteux, menaces d’humidité, nécessité de préserver des techniques traditionnelles. Depuis une vingtaine d’années, plusieurs rénovations exemplaires ont été menées avec l’aide des Bâtiments de France, alliant restauration et adaptation au confort moderne.

Patrimoine en partage : balade(s) à venir

Sillonner Quillebeuf-sur-Seine, c’est (re)découvrir la Normandie par la petite porte. C’est lire l’histoire dans la pierre, poser la main sur des volets centenaires ou surprendre le reflet d’un colombage dans une flaque, un matin de brume. Si le cœur du vieux Quillebeuf fascine tant, c’est sans doute parce qu’il ne se donne pas d’un seul coup d’œil.

Pour prolonger la découverte : participez aux événements du Printemps du Patrimoine, explorez les coulisses grâce aux visites estivales, ou perdez-vous tout simplement, carnet en main, entre la place Saint-Martin, la rue Notre-Dame et les abords du Châtelet. Entre pierres anciennes et histoires de bateliers, Quillebeuf se livre… à qui sait la regarder.

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