Flânerie à Quillebeuf-sur-Seine : un centre historique façonné par la Seine et la mer

18/07/2025

Un port de navigation stratégique entre Normandie et mer

L’histoire de Quillebeuf-sur-Seine, c’est d’abord celle de son port. Dès l’Antiquité, et surtout au Moyen Âge, son site en fond d’estuaire lui vaut une position stratégique entre la basse vallée de Seine et la Manche : la ville était considérée comme « la clef de la Seine ».

  • Sa rade profonde permettait aux navires de remonter le fleuve malgré les marées et les bancs de sable traîtres. Les bateaux n’élaguaient pas les hauts-fonds sans crainte !
  • Les archives indiquent qu’au XVII siècle, Quillebeuf voyait passer annuellement plus de 3 000 navires (source : Archives de l’Eure, relevé portuaire de 1675), et jusqu’à 50 000 passagers au temps fort du bac.
  • La tour Vauban, aujourd’hui disparu, surveillait jadis l’approche des bateaux et protégeait la ville contre les incursions venues de la mer.

On retrouve cette mémoire portuaire dans plusieurs détails du centre-ville :

  • Les maisons des armateurs alignées « en échiquier » le long de l’ancien quai.
  • Les ruelles menant droit au fleuve, où les marins débarquaient des marchandises venues des Antilles ou du nord de l’Europe.

Le plan du bourg : l’héritage de la vie tournée vers le fleuve

À Quillebeuf, le tissu urbain lui-même est le témoin discret du passé maritime. Le centre historique est composé de ruelles étroites qui convergent toutes vers le bac, véritable axe de vie du port. Ce plan en éventail n'est pas dû au hasard :

  • Il offrait un accès rapide au fleuve pour la manutention des cargaisons (vin, bois, denrées exotiques…).
  • Il facilitait les allées-venues entre les tavernes, auberges et entrepôts portuaires.

Le nom des rues garde la mémoire de cette activité : rue de la Marine, rue des Pilotes, rue des Bouchers… Autant de clins d’œil à la communauté des marins, pilotes et artisans vivant dans ce quartier. Certains toponymes, comme la « place du Matelot », rappellent également la tradition de l'appel journalier des équipages autrefois réalisé à cet endroit.

Des bâtiments toujours debout qui racontent la mer

Plusieurs bâtiments du centre de Quillebeuf-sur-Seine témoignent encore à ciel ouvert du passé portuaire :

  • L’église Saint-Valéry : bâtie dès le XII siècle, elle était le refuge des familles de marins et renferme, détail rare, plusieurs ex-voto marins — de petites maquettes de navires suspendues à la nef, offertes en remerciement pour un retour sain et sauf (à voir en visitant l’intérieur !).
  • Les maisons à colombages du quai : ces habitations typiquement normandes, dont plusieurs datent du XVIe et XVIIe siècles, furent pensées pour être résistantes à l’humidité et servir d’entrepôts à l’étage inférieur.
  • La capitainerie : aujourd’hui transformée en habitation privée, elle était le cœur stratégique où l’on enregistrait chaque navire, son port d’attache, son équipage, sa cargaison…
  • L’ancien grenier à sel : témoin du « privilège de havage » octroyé à Quillebeuf pour taxer les denrées débarquées, notable notamment pour le sel qui transitait vers tout le royaume.

Anecdotes de marins et mémoire vivante

Impossible d’évoquer Quillebeuf sans rappeler quelques-unes des légendes et anecdotes nées du contact entre la ville et la mer :

  • Selon la tradition locale, la cloche de l’église était sonnée à chaque fois qu’un bateau franchissait le seuil du port, une pratique qui aurait valu aux habitants le surnom de « coqs de Quillebeuf ».
  • Le 22 octobre 1822, la légendaire frégate La Méduse fait escale à Quillebeuf lors de son dernier voyage. Son récit, immortalisé par le tableau de Géricault, nourrit l’imaginaire local.
  • Les pilotes de Quillebeuf étaient réputés parmi les plus téméraires de la basse Seine — le port a compté jusqu’à 15 familles de pilotes au XIX siècle.
  • Un dicton normand prêté à la ville assure : « À Quillebeuf, le brouillard monte trois fois. La première pour perdre les marins. La seconde pour égarer les Anglais. La troisième pour cacher les filles du port. »

Le bac de Quillebeuf : trait d’union entre deux rives

La traversée par bac fait partie intégrante de la vie quilleboise : c’est LE symbole de la continuité du passé maritime dans le quotidien. Lorsque le premier bac à vapeur a vu le jour en 1832, il doublait les rotations pour embarquer ouvriers, marins et bétails. Aujourd’hui encore, ce service gratuit (une rareté dans la région) permet de lier l’histoire au présent et de perpétuer la mémoire du fleuve comme route vivante.

  • Quelques chiffres : en 1950, ce sont encore près de 300 000 passagers par an, pour à peine 2 000 habitants ! Source : La Dépêche de Louviers.
  • La navigation y reste encadrée par des règles remontant à Colbert, certaines toujours en vigueur !

Itinéraires de découverte : explorer l’histoire maritime à pied

Le centre de Quillebeuf-sur-Seine se prête merveilleusement à la promenade, pour saisir autrement l’empreinte portuaire. Voici quelques conseils pour profiter de votre visite :

  1. Commencer au bac : symbole du port et point d’entrée historique.
  2. Arpenter la rue de la Marine : remarquez les anciens numéros des maisons, peints à la chaux pour guider les équipages de nuit.
  3. Faire une pause à l’église Saint-Valéry : cherchez les maquettes suspendues et les plaques commémoratives des marins disparus.
  4. Pousser jusqu’à la « venelle aux Filets » : ses murs couverts de coquillages témoignent de la vie des pêcheurs.
  5. Terminer sur le quai : vue imprenable sur le fleuve, là où jadis s’entassaient ballots de coton, fûts et réserves de sel.

Pour les plus curieux, ne pas manquer la Maison du passeur, discrète mais emblématique, vestige d’un métier aujourd’hui disparu.

Informations pratiques pour explorer le Quillebeuf maritime

Lieu Horaires À savoir
Bac de Quillebeuf 06h-22h (horaires variables selon la saison, consulter le site du Département de l’Eure) Traversée gratuite, piétons & voitures
Église Saint-Valéry Visite libre, journée Ex-votos visibles, fermer la porte en sortant (courant d’air !)
Centre historique Toute l’année Panneaux explicatifs, visite guidée sur demande à la mairie
Quai du port Accès libre Marché local le samedi matin en été

Quillebeuf aujourd’hui : une autre façon de vivre la Seine

Marcher dans le centre historique de Quillebeuf-sur-Seine, c’est s’offrir un voyage au fil de l’eau et du temps. Chaque pierre, chaque nom de rue rappelle l’étroite complicité entre la cité et la Seine. Aujourd’hui, le bourg semble endormi – mais les ruelles bruissent encore d’histoires de marins, de négoce, d’escales et d’appels de cloches. Ce patrimoine discret, authentique, invite le visiteur à observer autrement : derrière les façades peintes, deviner la main calleuse des pilotes ; sous la lumière du fleuve, surprendre l’ombre d’un voilier qui glisse vers la mer. Si le cœur vous en dit, laissez-vous surprendre par ce passé maritime vivant — et découvrez une Normandie souvent ignorée, entre Haut et Bas, entre eau douce et grand large.

En savoir plus à ce sujet :