Légendes et savoirs populaires de Quillebeuf-sur-Seine : un patrimoine vivant à explorer

26/09/2025

Légendes maritimes et récits du fleuve : une histoire de navigation et de mystère

À Quillebeuf, le fleuve est un personnage à part entière. Jadis port stratégique, la ville était le théâtre continu d’accidents, d’échouages et de sauvetages parfois miraculeux. Le bouche-à-oreille local regorge encore de récits où la Seine se montre tour à tour capricieuse et généreuse.

  • Le « diable de Quillebeuf » : Une légende raconte qu’un démon veillait jadis à l’embouchure de la Seine. Les mariniers le craignaient plus que tout, car il attirait les bateaux vers les bancs de sable mouvants. On disait que le brouillard soudain et les courants déchaînés, fréquents à Quillebeuf, étaient l’œuvre de cet esprit farceur. Aujourd’hui encore, certains anciens évoquent ce “diable” pour expliquer d’improbables accidents survenus de nuit (source : Normandie Héritage).
  • La Dame Blanche de la Croix de Quillebeuf : Là où la croix de pierre domine le quai, une femme drapée de blanc apparaîtrait certains soirs de brume. Selon la rumeur, il s’agirait de l’âme d’une veuve de marin, disparue en mer, qui veille sur le retour des navires. Ce fantôme nourrissait l’imaginaire des enfants de Quillebeuf, et justifiait qu’on ne traînât point dans les ruelles le soir venu.
  • Les naufrages légendaires : Quillebeuf, avec ses eaux traîtresses, a vu nombre d’épaves – dont celle d’un navire hollandais (début XVIIIe siècle) dont la cargaison de porcelaines et d’épices contribua à la renommée du port. Les objets repêchés étaient exhibés et commentés dans les estaminets de la ville comme porteurs de fortune… ou de malédiction. On évoque encore dans certaines familles des histoires de pièces d’or ayant causé la discorde après avoir été trouvées sur la grève.

Le patrimoine oral marin de Quillebeuf s’alimente aussi des chansons de bateliers, dont les couplets parfois oubliés ressurgissent lors des fêtes associatives, telles que la Fête du Bac repris par l’AAQ (Association des Amis de Quillebeuf).

Superstitions, saints protecteurs et rituels : la religion dans l’ordinaire

La vocation portuaire de Quillebeuf s’est accompagnée d’une religiosité très pragmatique. Les marins, confrontés à l’incertitude quotidienne, multipliaient gestes et formules préventives. Certaines de ces traditions perdurent ou se murmurent encore dans les familles du vieux bourg.

  • On ne naviguait jamais un vendredi : superstitions chrétiennes croisées à celles des anciens Vikings. Porter un objet bénit à bord était censé conjurer les tempêtes.
  • L’église Saint-Valéry était réputée offrir la meilleure protection : les femmes de bateliers y accrochaient un cierge en forme de bateau lors du départ annuel vers Rouen ou Honfleur, implorant la Vierge ou saint Nicolas (patron des marins) pour un retour sain et sauf (source : Archives départementales de l’Eure).
  • La bénédiction du bac : avant la mise à l’eau du bac neuf, coutume était de le bénir, puis de briser une bouteille sur la proue. Cela ne relevait pas du folklore, mais d’une sincère crainte des forces du fleuve.

Certains rituels ont persisté, adaptés à la modernité : le 8 mai, toujours, la procession vers l’église fait halte sur le quai pour bénir les bateaux, en mémoire de toutes les vies perdues en mer.

Coutumes et fêtes populaires : entre traditions et modernité

À la croisée de la Normandie et du Pays d’Auge, Quillebeuf a longtemps été le théâtre de rassemblements où l’oralité dominait. On y célébrait notamment les moissons tardives et la Saint-Fiacre, patron des jardiniers, lors d’un marché qui drainait habitants du marais et des fermes alentours.

Foires et marchés à l’ancienne

  • La Foire de la Saint-Martin : Grande date agricole, elle donnait lieu à des joutes oratoires, des contes sous la halle (détruite puis reconstruite au XIX siècle). On s’y défiait à coups de proverbes et d’énigmes – “pas plus têtu qu’un gars de Quillebeuf sous le vent d’ouest !”
  • Les “veillées du bac” : À la mauvaise saison, avant la généralisation du ferry motorisé (début XX siècle), les habitants attendaient la traversée autour d’un feu. Chacun racontait histoires de mermaids, récits cocasses ou souvenirs de mauvais coups du fleuve, souvent avec humour et autodérision. Une tradition typique du port, disparue avec l’évolution des modes de transport.

Parlers et expressions locales

Certaines expressions nées sur les quais ou dans les estaminets percent encore dans la bouche des anciens :

  • “Aller à la Quillebeufaise” : partir sans prévenir, en référence aux navires quittant le port à la faveur d’un brouillard matinal.
  • “Avoir la veine de Quillebeuf” : bénéficier d’un coup de chance inespéré, comme lors de la pêche miraculeuse en 1897, restée fameuse dans les annales locales.

L’oralité normande s’incarne également dans la richesse du patois régional, dont on trouve encore traces dans les surnoms et toponymes – l’îlot du “Moulin Perdu”, le “Trou des Ânes”, ou encore le “Pont de la Corderie”.

Patrimoine du geste et métiers d’antan : transmission et mémoire

Au-delà des mots, le patrimoine oral de Quillebeuf tient aussi au “geste” : une mémoire des savoir-faire, décrits, mimés, répétés de génération en génération, chaque famille ayant sa spécialité.

  • Faire le nœud de Quillebeuf : Les mariniers locaux se distinguaient par leur façon spécifique d’attacher les péniches au quai, réputée plus résistante et souvent moquée, mais toujours adoptée lors de fortes crues. Les anciens transmettaient la technique “en racontant l’histoire du nœud et de son inventeur”, un certain Jean-Baptiste Delfosse, héros oublié de la grande crue de 1833 (source : Archives départementales de l’Eure).
  • Les gestes du bac : Jusqu’aux années 1960, la traversée manuelle impliquait une chorégraphie précise de perches, de cordelettes et de cris d’avertissement pour synchroniser l’embarquement du bétail et des charrettes.

La mémoire du port est aussi faite de ces gestes, aujourd’hui présentés lors des journées du patrimoine ou grâce à l’association des Amis du Bac, qui fait revivre épisodiquement les traversées à l’ancienne.

Balade à travers histoires, croyances et trésors d’oralité : conseils de visite

  • Explorer les ruelles du vieux port : En suivant les panneaux “circuit du patrimoine”, vous pourrez croiser d’anciens habitants prompts à raconter des anecdotes savoureuses, ou simplement goûter à l’ambiance unique qui subsiste, surtout au crépuscule, sur la berge face au passage du bac.
  • La croix de Quillebeuf et la chapelle Saint-Valéry : Des panneaux explicatifs y relatent les rituels anciens et quelques légendes locales.
  • Médiathèque municipale : Propose albums-photos et recueils d’anecdotes orales collectées auprès des familles du cru, dont la brochure “Quillebeuf d’hier à aujourd’hui”.
  • Les fêtes locales : Principalement la fête du Bac (fin juin) et les journées du patrimoine en septembre. Des conteurs viennent parfois y partager des récits inspirés des sources orales de Quillebeuf.

Pourquoi les légendes orales restent essentielles à Quillebeuf-sur-Seine ?

À l’heure où l’on parle patrimoine architectural et muséal, la force de Quillebeuf réside aussi dans ce qui ne se touche pas : une mémoire partagée, transmise par la parole, le spectacle, la fête. Cette tradition orale, longtemps mise de côté, redevient précieuse : elle relie les familles d’ici, donne chair et âme à un lieu dont la magie tient autant à ses pavés qu’aux histoires qu’on s’y raconte. On dit souvent qu’il faut “flâner pour comprendre Quillebeuf” : s’il faut du temps, c’est que l’essence du bourg ne se laisse capter qu’en tendant l’oreille, attentif aux mots d’hier qui font vivre les pierres d’aujourd’hui.

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