Flâneries autour des maisons anciennes de Quillebeuf-sur-Seine : petits secrets d’architecture normande

07/07/2025

Un port, des influences : pourquoi l’architecture quilleboise est singulière

Au Moyen Âge, Quillebeuf était un port d’importance sur la Seine. Armateurs, commerçants, pêcheurs… la population y brassait large, et cela se retrouve dans le bâti. À la différence de nombreux villages de l’Eure, son architecture garde la trace de ses liens avec Rouen, le Havre, Honfleur et même l’Angleterre.

  • Proximité de l’eau : On note la présence de soubassements en pierre ou en brique pour résister à l’humidité et aux crues de la Seine.
  • Air salin : Utilisation fréquente de matériaux imputrescibles et de gestes hérités de la construction navale.
  • Mélange de styles : L’influence anglo-normande s’affiche dans certains encorbellements ou pans de bois sculptés, typiques du XVe-XVIIe siècles.

Colombages et maçonneries : la palette des matériaux et techniques

En Normandie, difficile de manquer les maisons à pans de bois. Mais à Quillebeuf, le pan de bois s’habille de singularités : verts tendres, terres ocrées, parfois rose, toujours pour sublimer le patrimoine local. Voici ce qu’on observe régulièrement :

  • Pans de bois (colombages) : Le bois local — souvent du chêne ou du châtaignier, plus rarement du pin maritime — forme un motif en croix de Saint-André ou en losanges, parfois très resserré, une marque de richesse de l’époque.
  • Hourdis : Entre les colombages, le remplissage ("hourdis") combine torchis, brique et galets roulés de Seine, créant des textures polychromes.
  • Briques apparentes : Sur plusieurs maisons du quai, on aperçoit des assises de brique datant du XIXe qui trahissent les restaurations successives après les grandes crues.
  • Soubassement en silex : Typique du bassin de la Seine inférieure, ce soubassement protège de l’humidité ascensionnelle et témoigne de la nature géologique locale.

Selon l’Inventaire général du Patrimoine culturel (Ministère de la Culture, Base Mérimée), la maison la plus ancienne identifiée sur la rive quilleboise daterait du tout début du XVIe siècle, avec charpente et tuiles en écailles brunies.

Des toitures qui racontent la Normandie et la Seine

L’œil du promeneur serait bien inspiré de grimper jusqu’aux toitures. À Quillebeuf, où le vent de Seine ne chôme pas, le chapeau des maisons propose d’autres surprises :

  • Tuiles plates “de Bourgtheroulde” : Ces tuiles, plus courtes et épaisses que la tuile francilienne, offrent une ondulation typique lorsqu’elles vieillissent. Elles résistent mieux à la pluie battante venue de l’ouest.
  • Ardoises : Sur quelques demeures bourgeoises et l’ancien presbytère, l’ardoise rappelle les grands échanges fluviaux avec l’Anjou, au XVIIIe siècle.
  • Lucarnes à fronton : Outre la classique lucarne à croupe, adopte ici un fronton triangulaire sculpté, hérité de la mode rouennaise. Idéal pour surveiller le fleuve et la venue des bateaux.
  • Chêneaux saillants et épis de faîtage : La ligne de faîte, souvent ponctuée d’ornementations en métal ou en terre cuite, protège du ruissellement et s’offre au regard comme une signature discrète.

Les portes et fenêtres : entre modestie et coquetterie portuaire

La vie au port, c’est l’ouverture sur le monde. Les ouvertures de Quillebeuf, même modestes, sont riches de petits détails, souvent invisibles au premier coup d’œil :

  • Portes surmontées d’impostes vitrées : Pour gagner de la lumière sur des rues parfois étroites et ombragées, la tradition veut qu’on surmonte la porte d’une imposte vitrée translucide.
  • Ferronneries locales : Les heurtoirs en forme de poisson, d’ancre ou à motif d’algues stylisées rendent hommage à la vie sur le fleuve.
  • Volets à claire-voie : Essentiels, ils protègent la maison des tempêtes venues du large, tout en laissant passer la lumière. Certains sont datés ou marqués par des blasons de corporation (mariniers, pêcheurs).
  • Croisillons et petits-bois : Très fréquents sur les fenêtres anciennes, ils rappellent l’époque où les vitres étaient petites et coûteuses, assemblées en “petits-bois” pour plus de résistance.
  • Appui de fenêtres en grès : Le grès (parfois importé du côté des Andelys) protège des infiltrations et se patine joliment, de gris à brun mordoré.

Décors, inscriptions et traces des habitants : anecdotes et curiosités

Quillebeuf a la rareté des lieux où rien ne semble ostentatoire mais beaucoup de détails racontent l’histoire humaine des maisons :

  • Dates et initiales sur linteaux : Une tradition locale veut que chaque extension (même minime) porte sa date et, parfois, les initiales des propriétaires. On en trouve facilement place Sainte-Catherine ou rue aux Juifs.
  • Symboles de protection : Fréquents sur les linteaux, on peut surprendre des marques dites “apotropaïques” (croix, triangles), destinés à protéger la maison des mauvais esprits, empruntés aux superstitions rurales et marinières.
  • Épis de faîtage personnalisés : Selon la tradition, un nouvel épi était placé pour chaque naissance ou union dans la maison — quelques exemples se devinent sur la route des Houx.
  • Moulures de modénature : Sur certaines maisons plus cossues, la richesse des moulures dénote l’ambition sociale des armateurs locaux.
  • Traces d’anciens commerces : Enseignes en fonte, crochets à poissonniers et niches à lampes témoignent du passé commerçant du village portuaire.

Pour les passionnés, le remarquable “dauphin de faîtage” de la maison du 23 quai Gustave-Ferret est unique en normandie occidentale (source : Inventaire du patrimoine normand).

En parcourant Quillebeuf : quelques conseils pour ne rien manquer

  • Privilégier deux parcours à pied : celui du vieux bourg (Grande Rue, rue du Bac, place Saint-Valéry) et celui du front de Seine pour voir passerelles, escaliers et passerelles.
  • Munissez-vous d’une paire de jumelles pour repérer les lucarnes et faîtages ornés.
  • Prenez le temps de discuter avec les habitants : ils aiment montrer photos anciennes ou raconter la petite histoire de leur maison.
  • L’écomusée local (voir horaires à la mairie) expose parfois des éléments architecturaux récupérés lors de restaurations, à ne pas manquer pour comprendre l’évolution des techniques.

Les détails architecturaux de Quillebeuf ne se livrent qu’à ceux qui prennent la peine de les chercher : rien d’exubérant, ici, mais un artisanat attentif, modelé par le fleuve et par l’époque. Observer ces maisons, c’est aussi embrasser l’âme d’un village qui sait se laisser découvrir pas à pas, surtout par ceux qui aiment “regarder au-delà des façades”.

Pour préparer votre balade ou en savoir plus :

  • Consultez la base Mérimée (pop.culture.gouv.fr)
  • Reportez-vous à “Patrimoine et architecture du Pays de Risle-Estuaire”, éditions du Parc naturel régional
  • Demandez la brochure “Petits patrimoines de Quillebeuf”, disponible à l’office de tourisme

Et pour garder l’œil, rappelez-vous le dicton local : "à Quillebeuf, ce n’est pas la porte qu’il faut pousser, c’est le regard qu’il faut aiguiser".

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