Trésors discrets et statues inattendues : explorer le patrimoine caché de Quillebeuf-sur-Seine

03/09/2025

Aux racines du port : repères sculptés et petites histoires du quai

Cœur battant de Quillebeuf jusqu’au XX siècle, le port vivait jadis au gré des chargements de sel, des pêcheurs de hareng et des allées-venues du bac. Plusieurs éléments, souvent discrets, témoignent de ce riche passé :

  • La borne de jaugeage du port : Près de l’ancien quai de la marine, une petite stèle gravée indiquait jadis le niveau de la Seine utile pour le commerce fluvial ou la sûreté des bateaux. L’inscription en chiffres romains, partiellement effacée par le temps, rappelle l’âge d’or du trafic fluvial (Source : Archives municipales de Quillebeuf).
  • Le banc de pierre des pilotes : Posé contre un vieux mur, ce banc accueille encore aujourd’hui les promeneurs. C’est là, raconte-t-on, que les pilotes du fleuve guettaient l’arrivée des navires à guider au fil du chenal. On raconte que chaque fente, chaque gravure, a sa petite histoire – les initiés savent qu’on y trouve même la trace d’un “E” gravé pour “Eure”.
  • Les anneaux d’amarrage : En levant les yeux, vous distinguez çà et là d’anciens anneaux scellés dans la pierre du quai. Ils servaient jadis d’attaches aux barques, souvent de simples yoles ou “bacots”, ces petites embarcations typiques de la vallée de Seine (voir Normandie Tourisme).

Ces marqueurs modestes, noyés dans le décor, révèlent à qui sait chercher l’intense vie fluviale qui faisait battre le cœur de Quillebeuf.

Les croix de chemin, sentinelles spirituelles et repères villageois

Impossible de traverser Quillebeuf, ou de la quitter par ses anciennes routes, sans remarquer les croix dressées aux carrefours, véritables bornes de la mémoire collective normande. À Quillebeuf, on en compte plusieurs, chacune à sa façon témoin d’un épisode ou d’une croyance populaire :

  • La Croix du Cimetière : Datée du XVIII siècle, elle se dresse à l’entrée de l’ancien cimetière. La légende locale veut qu’elle ait servi de point de prière lors des grandes crues, pour conjurer la montée des eaux. Une vieille photographie de l’abbé Delphine de 1927 (Archives paroissiales) montre déjà la croix ceinte d’offrandes anonymes.
  • La Croix de Mission, place du Bac : Plantée près de l’actuelle cale du bac, elle fait mémoire d'une mission paroissiale du XIX siècle, période où les missions itinérantes cherchaient à renforcer la foi dans ces bourgs exposés aux tentations maritimes. Observez la date gravée à sa base : 1885. Ceux qui la voient de près remarquent aussi les bouts de cierge parfois, signe d’un usage encore actuel à certains moments.

Statues et effigies à Quillebeuf : des saints du fleuve aux anonymes de la rue

Bien que Quillebeuf ne collectionne pas les grandes statues équestres, elle n’en cultive pas moins une tradition de représentations, mêlant art naïf, piété populaire et symbolisme fluvial.

  • Saint Nicolas, protecteur des marins : Dans l’église Saint-Martin de Quillebeuf, tout près du chœur, une antique statue en bois de Saint Nicolas mérite un vrai détour : il s’agit du saint patron des mariniers et des enfants, invoqué lors des traversées difficiles. On sait qu’au XIX siècle, chaque départ sur la Seine était précédé d’une courte prière devant lui. La statue, polychrome malgré les outrages du temps, a récemment été restaurée grâce à une souscription locale (infos : Patrimoine Quillebeuf-sur-Seine).
  • Vierge à l’Enfant “des naufragés” : Autrefois posée en façade sur une maison de la rue Grande, une petite niche abrite une Vierge à l’Enfant, aujourd’hui protégée derrière une grille. Selon la tradition, elle fut offerte par les familles de pêcheurs rescapés d’un chavirage, au début du XX siècle. Ces “vierges de coin de rue” étaient fréquentes sur le littoral normand, mais bien peu ont survécu aux décennies.
  • Le Buste de Jules Delaunay : Sur la petite place qui porte son nom, un buste discret (1911) commémore l’un des notables du pays, inventeur et bienfaiteur de la commune. Beaucoup l’ignorent, mais ce bronze fut fondu sur souscription populaire par la maison Barbedienne, célèbre fondeur parisien. La tradition veut que chaque 15 août, on vienne y déposer une fleur, hommage des anciens à leur protecteur (Source : “Histoire de Quillebeuf”, Jean-Luc Martel, 1996).

Curiosités méconnues : plaques, pierres gravées, et souvenirs en façade

Qui prend le temps de musarder dans le centre ancien notera çà et là des plaques, pierres sculptées ou éléments particuliers que même bien des habitants ne connaissent que de nom :

  • Pierre commémorative de la crue de 1910 : Sur la façade du 13 rue du Port, une inscription rappelle le niveau exceptionnel atteint par la Seine lors des inondations de janvier 1910. Le chiffre exact (7,30 m au-dessus du niveau ordinaire) est gravé au burin. Plusieurs familles racontent encore comment les rues étaient alors praticables… à la barque ! (Source : archives de l’Institut Géographique National)
  • Plaques de mariniers : À certains angles, discrètes plaques ou médaillons signalent l’appartenance des maisons à d’anciennes familles de bateliers. Celle du 5 rue de la République arbore un rameau et une ancre enlacés, symboles du “charriage d’eau” pratiqué au XIX siècle.
  • Reliefs zoomorphes sur l’auberge de la Licorne : Un regard attentif sur la façade ouest révèle de petites têtes animales sculptées dans la pierre, vestiges d’une exubérance décorative du XVIII siècle, à l’époque où Quillebeuf était étape des grands guides postaux. Selon la tradition locale, ces têtes étaient censées éloigner les mauvais esprits et garantir la prospérité de l’établissement.

Suggestions de parcours pour un oeil neuf sur Quillebeuf

Pour n’en rien manquer, rien ne vaut une promenade à pied au petit matin ou à la lumière dorée du soir. Voici quelques idées d’itinéraires thématiques pour repérer ces trésors :

  • Le Tour du Port : Depuis la place du Bac, suivez le quai est, longez l’ancien embarcadère, jetez un œil aux anneaux puis remontez la rue du Port. Surveillez les façades pour repérer les plaques de crue et d’anciens commerces.
  • Chemin des Croix : Parcourez la rue de la République en direction du cimetière, puis bifurquez vers la Croix de Mission et terminez à l’église Saint-Martin pour admirer les statues. Ce parcours évoque la dimension spirituelle du village.
  • Balade des Rues Anciennes : De la place Jules Delaunay jusqu’à la rue Grande, prenez le temps d’observer les niches, cartouches, et reliefs de maisons. Les passionnés de photographie y trouveront matière à clichés insolites !

Quelques conseils pour explorer et respecter le patrimoine quillebois

  • Privilégiez une visite piétonne, le village se découvre vraiment au rythme lent du promeneur.
  • Emportez jumelles ou appareil photo : certains éléments sont parfois en hauteur, dissimulés dans la végétation ou sous un rebord de toit.
  • N’hésitez pas à vous adresser aux habitants, toujours prompts à raconter une anecdote ou à indiquer l’histoire d’une plaque oubliée.
  • Pensez à respecter les lieux, notamment près du cimetière ou des croix de mission, où l’usage local reste empreint de discrétion et de recueillement.

Patrimoine vivant, histoires à raconter

Si la haute silhouette de l’église ou la silhouette du bac sont les images d’Épinal de Quillebeuf, la vraie richesse du bourg réside tout autant dans ses petites marques du temps. Chacune de ces croix, statues ou bornes raconte une bribe de l’histoire de la Seine, de la vie portuaire ou de la piété populaire. En prenant le temps de les découvrir, on se glisse dans les pas de générations de Quillebois et de marins, héritiers modestes mais fiers d’une mémoire portuaire unique en Normandie. Voilà de quoi nourrir, à Quillebeuf-sur-Seine, un art du détour qui n’appartient qu’à ceux qui aiment vraiment regarder.

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