Fête des marins à Quillebeuf-sur-Seine : histoire, traditions et secrets d’une célébration vivante

08/09/2025

Aux sources d’une tradition fluviale : quand la Seine façonnait la vie de Quillebeuf

Impossible de saisir l’âme de la fête des marins sans évoquer l’importance de Quillebeuf dans l’histoire maritime de la Seine. Dès le Moyen Âge, ce petit port devient un carrefour crucial pour le transbordement des marchandises. Son bac, qui fonctionne encore aujourd’hui, a vu passer des générations d’hommes de fleuve, de pilotes et de mariniers. Quillebeuf était même un lieu de passage obligé pour tous les navires montant ou descendant vers le Havre ou Rouen – on l’appelait alors la « clé de la Seine maritime ». (source : Le Figaro, 2018)

Avec ses bancs de sable dangereux et ses courants imprévisibles, la traversée était tout sauf anodine. Les naufrages n’étaient pas rares. Il est donc naturel que la communauté des marins se tourne vers la protection divine… et qu’elle institue une fête en l’honneur de la Vierge Marie, patronne des gens de mer, pour conjurer la peur du fleuve et remercier pour les sauvetages.

Une fête religieuse née de la peur… puis ancrée dans la mémoire locale

La première mention formelle d’une cérémonie dédiée remonte à 1857, date à laquelle la paroisse de Quillebeuf formalise ce qui existait de façon informelle bien avant : une procession solennelle et la bénédiction du fleuve. Dès la seconde moitié du XIX siècle, la fête attire bien plus que les seuls habitants. Mariniers de passage, propriétaires de bateaux, familles de matelots… tous convergent vers Quillebeuf ce dimanche de Pentecôte.

  • Procession et bénédiction de la Seine, avec fleurs jetées dans le courant
  • Dépôt de gerbes en mémoire des disparus en mer ou sur le fleuve
  • Chants et prières en patois normand, jusque dans les années 1930

Ce qui démarque la fête des marins à Quillebeuf, c’est le lien vivant entre la cérémonie et le fleuve. À la différence de Fécamp ou de Honfleur, ici tout se joue au contact de l’eau, souvent sur le bac ou l’une des vieilles chaloupes.

Pourquoi la Vierge Marie des Marins ? Petite histoire d’une dévotion bien ancrée en Normandie

Au XIX siècle, la Vierge devient officiellement la protectrice des marins de Quillebeuf. Une statue blanche trône au-dessus de la porte de l’église Saint-Valentin : c’est la fameuse « Notre-Dame des Marins ». On raconte qu’elle aurait résisté à plusieurs tempêtes, à la Seconde Guerre mondiale et même aux crues les plus virulentes. Chaque année, pour la fête, on la pare de guirlandes, et les marins l’honorent avec ferveur.

  • En 1910, la procession réunit plus de 300 mariniers, certains venus expressément de Rouen ou du Havre !
  • La Vierge est portée par les enfants de Quillebeuf, tradition qui subsiste encore aujourd’hui

Le rite veut que l’on bénisse la Seine, pour qu’elle demeure clémente et protectrice. Même les « horsains » (ceux qui ne sont pas natifs d’ici) s’y associent, tant la fête dépasse la seule dimension religieuse pour devenir un vrai temps fort de partage.

Transformation au fil du temps : d’une fête purement maritime à une célébration pour tous

Si, à l’origine, la fête était presque confidentielle et réservée à la corporation des mariniers, elle s’ouvre progressivement à tout Quillebeuf. Dès les années 1970, la commune et ses associations développent un programme élargi : concerts, animations pour enfants, expositions photo.

En quelques chiffres :

  • Plus de 1 000 visiteurs lors des éditions les plus récentes (source : mairie de Quillebeuf-sur-Seine)
  • En moyenne, une dizaine de bateaux traditionnels présents à quai pour l’évènement

De nombreuses familles reviennent d’une année sur l’autre, et la fête, autrefois marquée par la solennité, devient plus festive, sans rien perdre de son authenticité.

L’organisation type aujourd’hui : traditions, surprises et convivialité normande

Le matin : recueillement et symboles

  • 10h – Messe des marins, à l’église Saint-Valentin (édifice du XIII siècle), avec chants marins et distribution de bouquets bénis
  • 11h – Départ de la procession, bannière en tête, les enfants portant la statue de la Vierge
  • Marins en uniforme, habitants en tenue dominicale, tout le monde converge vers le fleuve

Temps fort : la bénédiction sur l’eau

  • Émouvant arrêt sur le quai : hymne des marins, appel aux disparus
  • Cérémonie de rappel des noms des naufragés inscrits sur la stèle commémorative
  • Jet de fleurs et dépôt de couronnes sur la Seine depuis le bac – tradition respectée vaille que vaille, même quand la météo fait son caprice normand !

L’après-midi : fête, rencontres et patrimoine

  • Animation musicale sur le port : groupes de chants marins, accordéon et rigodons
  • Dégustation de produits locaux : assiettes de crevettes grises (emblématique de Quillebeuf), confitures, cidre fermier
  • Visites guidées de l’ancienne capitainerie et découverte de l’histoire du bac, parfois avec des témoins ou descendants de vieux capitaines
  • Marché de producteurs de l’Eure et voisin, stands d’artisans – gravures, céramiques, maquettes de bateaux
  • Jeux enfants : pêche à la ligne, mini-parcours d’adresse inspirés des temps de navigation (source : Association Tradition et Mémoire Maritime de Quillebeuf)

Les commerçants décorent leurs vitrines de filets, de maquettes et de portraits anciens. On croise parfois de drôles de personnages : « Boujou, bienvenue à Quillebeuf », lance le doyen du village, casque de capitaine vissé sur la tête, vestige d’une grande tradition orale transmise de père en fils.

La fête des marins, lieu de mémoire(s) et miroir du territoire

Il ne faut pas réduire la fête des marins à un simple folklore déplacé. Elle incarne le fil d’une histoire continue, qui relie Quillebeuf à son passé, mais aussi à un patrimoine très actuel. Les jeunes générations apprennent, le temps d’un dimanche, ce qu’être un marin signifiait ici : la solidarité dans la tempête, la vigilance face au fleuve, et le goût de la fête partagée.

Quelques anecdotes glanées au fil des éditions :

  • En 1982, un vétéran du remorquage, Wilfried L., a lancé la première « tombola marine » avec comme gros lot… une sortie sur le bac aux aurores !
  • La légende dit qu’en 1947, une modeste barque participait à la fête, ornée de lampions, pour « faire la nique » aux bateaux des plus riches armateurs
  • Lors de l’édition 2017, une fresque “mariniers d’hier et d’aujourd’hui” fut réalisée collectivement sur un pan du mur du port

Enfin, la fête ne se tient pas isolée : elle dialogue avec d’autres rendez-vous maritimes normands, comme la bénédiction des pêcheurs à Honfleur ou le pardon des marins à Fécamp. Mais Quillebeuf garde sa particularité : ici, la famille, les vieux métiers, et le fleuve sont au centre, dans une dimension volontairement à taille humaine.

Conseils pour vivre la fête des marins de l’intérieur

  • Prévoyez d’arriver tôt : les places se font rares côté port, et la procession commence souvent dès la sortie de la messe (attention à la circulation du bac !).
  • Misez sur le vélo ou la marche : parfait pour flâner dans les ruelles le temps du marché, puis rejoindre facilement les quais.
  • Engagez la discussion : anciens marins et bénévoles sont souvent intarissables en souvenirs et histoires du fleuve.
  • Goûtez à tout : la fête est l’occasion idéale pour découvrir la gastronomie locale, du pâté normand au simple café partagé sur le port.
  • Emportez un souvenir : sur le marché, les objets maritimes ou cartes postales anciennes font toujours leur petit effet.

La fête en 2024 et demain : défis et promesses

Si la fête des marins continue d’être le cœur battant de Quillebeuf, c’est grâce à la transmission, à la passion et à l’engagement de tout un village. Face à la baisse du trafic fluvial traditionnel, plusieurs associations se mobilisent pour maintenir la mémoire vive et adapter les festivités : ateliers pour enfants sur la biodiversité du fleuve, ouverture des greniers du port, exposition sur les femmes marinières, etc.

Pour les amateurs de patrimoine vivant, elle demeure une porte d’entrée unique vers le Quillebeuf intime : celui où le fleuve dicte encore ses lois et inspire, chaque printemps, une célébration où se croisent toutes les générations. Une promesse, sans folklore ni muséification, de garder vivant le lien précieux entre une communauté, son histoire… et sa Seine.

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