Le bac de Quillebeuf-sur-Seine : un passage, mille histoires

04/06/2025

Un trait d’union vivant sur la Seine

Au cœur des méandres impressionnants de la Seine, Quillebeuf-sur-Seine déploie son charme discret et ses façades patinées. Mais à qui s’arrête, il offre plus qu’une simple halte : il invite à traverser. Depuis des siècles, le bac de Quillebeuf n’est pas seulement un moyen de transport, mais un symbole d’union entre deux rives, reliant l’Eure à la Seine-Maritime, l’une des dernières survivances d’une tradition fluviale profondément ancrée dans la vie locale.

Cette traversée tranquille, d’à peine 800 mètres, n’est jamais banale : elle concentre histoire, ingénierie, poésie du lieu et quotidien normand. Plonger dans les particularités du bac de Quillebeuf, c’est ouvrir un livre vivant sur la Seine et ses secrets.

Un peu d’histoire : héritage des passeurs du fleuve

Le bac fait partie de la mémoire collective normande. Jadis, la Seine était jalonnée de ces bacs permettant hommes, bêtes et charrettes de franchir le fleuve. Des dizaines de petites communes, de Caudebec-en-Caux à Duclair, possédaient leur embarcadère. Avec le développement des ponts routiers, ces points de passage ont peu à peu disparu. Celui de Quillebeuf-sur-Seine s’inscrit aujourd’hui parmi les derniers témoins vivants de cette époque (source : Seine-Maritime.fr).

  • Première mention attestée dès le Moyen Âge : au XIII siècle déjà, un « passeur » officiel est signalé à Quillebeuf.
  • Pendant les Guerres de Religion et sous Louis XIV, ce bac – stratégique – est surveillé et contrôlé car il permet l’accès direct vers Le Havre et Rouen.
  • Au fil des siècles, il évolue, passant de la barque à godille à la grande plate à moteur.

Le décor n’a guère changé : la cale de Quillebeuf, montée en pavés, ouvre toujours sur le port, devant la silhouette blanche de la chapelle des Marins – témoin muet des centaines d’autres traversées jadis périlleuses.

Le bac aujourd’hui : particularité d’une traversée gratuite et insolite

Sa première particularité, et non des moindres, c’est la gratuité ! Gérée aujourd’hui par le Département de l’Eure, la traversée est financée intégralement par la collectivité, ce qui n’est plus si répandu (source : Département de l’Eure). Que l’on soit piéton, cycliste, automobiliste ou autocariste, aucune pièce à verser : la Seine s’offre à tous, chaque jour, d’une rive à l’autre, de 5h40 à 21h en semaine (horaires susceptibles d’évoluer au fil des marées).

Le bac est aussi l’un des rares dispositifs à « câble porteur » en France : il évolue grâce à un câble immergé et tendu en travers de la Seine, qui lui permet de résister au fort courant et au passage des péniches, sans souffrir de la houle ou du vent. Cette technique d’ingénierie héritée du XIX siècle garantit la sécurité des travées et la régularité du service, même quand les brumes d’hiver enveloppent la rive.

Chiffres remarquables :

  • Capacité : jusqu’à 12 véhicules et 49 passagers par passage.
  • Longueur de la traversée : 720 mètres (entre Quillebeuf et Port-Jérôme-sur-Seine).
  • Près de 300 000 traversées annuelles, automobiles comprises (source : Département de l’Eure, rapport 2023).
  • Pont-levis naturel : par temps de crue ou de forte marée, le service s’interrompt, rappelant la puissance et l’imprévisibilité du fleuve.

Une expérience pas comme les autres

Monter à bord du bac, c’est déjà voyager. À peine les amarres larguées, on profite d’une vue imprenable sur l’estuaire. Les cheminées de Port-Jérôme d’un côté, la ligne des toits de Quillebeuf de l’autre, l’air chargé d’embruns… Les hérons sont souvent au rendez-vous, de même que les martins-pêcheurs, filant au ras de l’eau.

Petite curiosité locale : lors du passage de très grands convois fluviaux, le bac attend sur sa cale, le temps de laisser filer ces mastodontes de 135 mètres à conteneurs. Les discussions entre bateliers au VHF plongent alors le visiteur dans une ambiance digne du grand port maritime du Havre, à quelques encablures.

Rencontres à bord

  • Les chauffeurs de camions citernes, venus de toute l’Europe, côtoient les écoliers du matin avec leurs cartables fluo ;
  • Les randonneurs du GR2, ravis de retomber en enfance, guettent la rive les cheveux au vent ;
  • Le capitaine, figure incontournable (souvent Quillebois d’origine), partage parfois une anecdote, sur le débit de la Seine ou la mémoire des tempêtes.

Certains usagers fidèles, appelés localement les « passants du bac », racontent volontiers leur souvenir d’hiver, quand « on traversait la brume, et qu’on n’apercevait la terre qu’au dernier moment ». Le bac, pour eux, c’est aussi un repère dans la vie quotidienne.

Au cœur d’une tradition fluviale normande

Le bac de Quillebeuf est aussi un parfait reflet de l’attachement normand à la vie du fleuve. Jusqu’au début du XX siècle, la traversée était commandée à la cloche ou au cri envers la rive d’en face. Longtemps, le passage se faisait sur une simple barge à fonds plats, mue à la perche (la « gaffe ») ou à la rame. Les chevaux et les charrettes de foin y prenaient place entre les voyageurs, tout un monde qui faisait halte aux auberges alentours.

La motorisation est récente, véritable révolution pour le service. Aujourd’hui, la « Marinière », embarcation du bac, est astucieusement conçue pour capter le courant, se faufiler entre les bancs de sable, accoster au même endroit, quels que soient les aléas de la Seine. Rares sont les lieux où l’on peut observer ce ballet entre tradition et modernité.

Petites anecdotes et patrimoine discret

Le bac de Quillebeuf a parfois servi bien au-delà du simple passage :

  • Un refuge inattendu : lors des grandes crues de 1910 et 1955, il devint un abri pour des habitants pris de court par la montée des eaux, stationné en amont auprès des berges (Source : Archives départementales de l’Eure).
  • Des tournages : sa silhouette apparaît dans plusieurs documentaires consacrés à la vie fluviale normande.
  • Une course de bacs : autrefois, lors des fêtes des bateliers, le bac servait d’arbitre flottant, chargé de donner le départ à coups de sirène.

Aujourd’hui, la cale du bac abrite parfois des petites expositions photographiques l’été, mettant en scène pêcheurs, passeurs d’autrefois, et les navires à vapeur qui remontaient jusqu’à Paris. Des balades sonores sont même proposées pour découvrir la mémoire du lieu, à écouter durant la traversée (programme consultable à l’office de tourisme de Quillebeuf-sur-Seine).

Idées de balades et conseils pratiques

  • Profiter du passage pour flâner dans le vieux Quillebeuf : rues pavées, église Saint-Valéry, port des Pilotes, maisons de marins peintes à la chaux.
  • Faire l’aller-retour à vélo : la boucle Port-Jérôme—Quillebeuf permet de parcourir les deux rives en admirant la biodiversité du « marais du Hode ».
  • Observation des oiseaux : jumelles conseillées, surtout au printemps où les migrateurs s’y installent par milliers.
  • Étape gourmande : pause dans l’un des petits cafés de la ville, face au quai, pour savourer une « teurgoule » (riz au lait normand) ou un cidre du pays.

Infos pratiques : le bac assure la liaison tous les jours, sauf par tempête ou forts débits (affichage sur place). Embarquement direct sur la cale, sans réservation, durée de la traversée : 5 à 7 minutes selon le courant. Attention : lors de grandes marées, renseignez-vous sur les horaires avant de vous présenter (www.eure.fr).

L’invitation à franchir le fleuve : bien plus qu’un passage

Le bac de Quillebeuf-sur-Seine n’est pas qu’un moyen de se rendre d’une rive à l’autre : il incarne l’âme d’un territoire fluvial encore très vivant, où l’on prend le temps de voir, d’écouter, de ressentir l’histoire. Un vrai bon plan pour qui veut découvrir la Normandie autrement, entre patrimoine vivant, convivialité locale et expériences insolites. Alors, à quand votre prochaine traversée ?

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