À la découverte du cimetière marin de Quillebeuf-sur-Seine : mémoire vivante du port et de ses habitants

30/08/2025

Un cimetière au parfum d’aventure : contexte et origines

Quillebeuf-sur-Seine, bourgade portuaire ancienne, a connu au XIX siècle son âge d’or, vivant au rythme des navires de mer et de Seine, du bac, des chantiers navals et des histoires maritimes. Isolée sur sa presqu’île depuis la grande crue de 1791, elle conserve, en lisière sud, ce cimetière marin atypique, installé en 1843, là où la terre s’offre au large et au ciel ouvert (source : Bulletin des amis du vieux Quillebeuf, 2017).

À la différence des enclos paroissiaux « terriens » classiques en Normandie intérieure, ici, on rejoint la tradition des villages côtiers : on enterre au plus près de l’eau ceux dont la vie a été bercée par la mer, le fleuve et la brume. Le port impose sa marque jusque dans le choix de ce lieu, exposé aux vents, à deux pas des anciens chantiers navals.

  • Date d’ouverture : 1843, remplaçant l’ancien cimetière au nord de l’église à l’époque saturé et insalubre.
  • Situation : Entre la Seine et la digue, dominant l’estuaire et la zone du Grand Hameau.
  • Superficie : Près de 0,28 hectare (étendue modeste, mais d'une rare densité symbolique).

Un témoin des destins maritimes et de la mémoire locale

Le cimetière marin de Quillebeuf n’est pas un simple alignement de stèles : il tient à la fois de la mémoire collective et de la galerie de portraits locaux, modestes ou hauts en couleur.

Des tombes de pilotes, marins et familles du fleuve

On y retrouve les sépultures de pilotes de Seine, de patrons pêcheurs, d’armateurs et de familles liées au port : Despatin, Sabouret, Aladenize, Heurtaux… Parmi eux, la lignée des pilotes lamaneurs, profession emblématique de Quillebeuf, chargée depuis le Moyen Âge d’aider les navires à franchir les dangereux méandres et bancs de sable de la basse-Seine. Le monument aux pilotes disparus (1907), orné d’une ancre, est le véritable emblème du site.

  • La famille Anquetil, dont plusieurs membres furent « pilotes royaux », repose ici : l’un d’entre eux, Auguste Anquetil, a même inspiré des pages à Alphonse Allais (source : Société d’Études Diverses de la Seine-Inférieure, 1932).
  • Des tombes portent encore de petites maquettes de bateaux, objets votifs ou souvenirs déposés par les familles, perpétuant la tradition des ex-voto marins, fréquents sur les côtes normandes.

Un cimetière cosmopolite

Quillebeuf fut longtemps l’un des principaux points de franchissement et d’escale entre la Manche et Paris. Des tombes d’étrangers – Hollandais, Britanniques, Scandinaves – rappellent ce brassage. L’une des plus connues évoque la noyade d’un capitaine de navire hollandais en 1869, victime du fameux mascaret. Cette diversité traduit le cosmopolitisme du port, à une époque où 150 navires passaient chaque semaine (chiffres du Conseil général de l’Eure, 1878).

Un site d’art populaire et de coutumes funéraires normandes

Le cimetière marin fascine aussi les amateurs d’art funéraire. Ici, pas de fastes mais une élégance sobre :

  • Stèles en pierre locale aux motifs maritimes : ancres, poissons, cordages, barques stylisées. L’iconographie rappelle celle des cimetières marins du Cotentin ou de la Côte d’Albâtre, mais avec une patine typique du Val de Seine.
  • Inscriptions anciennes rédigées en vieux français ou en patois normand sur certaines pierres, parfois accompagnées de prières maritimes (« Que le vent te porte à bon port »…)
  • Apparition d’art funéraire typique : croix forgées par les artisans locaux, dalles gravées de motifs de jetée ou de bouées, échos à la vie portuaire.

On remarque l’usage de faïence du pays d’Auge pour certains décors de tombes enfantines (influence de la faïencerie de Pré d’Auge, fin XIX), rareté à signaler dans l’Eure (source : Patrimoine funéraire normand, Inventaire régional, 2004).

Un lieu d’histoire partagée et de recueillement collectif

Le cimetière marin n’est pas un simple point sur la carte, il s’inscrit dans l’histoire locale et les rituels sociaux :

  • Chaque année à la Toussaint, les descendants des familles maritimes mais aussi les Quilllebœufiens d’adoption viennent fleurir les tombes, souvent avec des chrysanthèmes mêlés d’algues séchées ou de petites branches de saule, coutume peu commune dans la plaine cauchoise.
  • La commune organise ponctuellement des visites guidées lors des Journées du Patrimoine, axées autour des personnages illustres et des légendes locales.
  • Des récits oraux collectés par Le Pays d’art et d’histoire proposent des anecdotes sur les « chiens de mer » du village, ces marins burinés dont la mémoire est transmise de génération en génération autour des tombes familiales.
Date/événement marquantDescription
1911Inauguration du monument aux pilotes, suite au naufrage du navire La Barque noire (presse régionale, archives municipales de Quillebeuf).
1944Dommages dus aux combats de la Libération : le cimetière accueille plusieurs sépultures de civils, victimes des bombardements alliés.
1972Classement du site au patrimoine communal : protection renforcée contre le vandalisme et l’érosion fluviale.

Importance patrimoniale et symbole communal

Le cimetière marin n’est pas qu’un livre d’histoire à ciel ouvert. Sa conservation est aujourd’hui l’un des enjeux majeurs pour l’avenir de Quillebeuf :

  • Il incarne l’âme maritime locale à travers l’évocation des pilotes, l’attention portée aux professions portuaires oubliées et la mémoire des familles du fleuve.
  • Il attire un tourisme discret et curieux : photographes, amateurs de patrimoine, marcheurs du GR2 qui longent la Seine s’y arrêtent volontiers, car le site est unique dans l’Eure.
  • Il est subventionné à hauteur de 12 000 € par la Région depuis 2011 pour ses travaux de restauration (source : Région Normandie, dossiers patrimoine).
  • C’est un cas d’école pour l’éducation patrimoniale : des classes de l’école voisine y organisent des parcours découverte sur le thème du patrimoine maritime, de la biodiversité (la faune ornithologique y est exceptionnelle ! : sternes, goélands, huîtriers pie…)

Visiter le cimetière marin : conseils d’exploration tranquille

  • Accès : depuis la place du Bac, suivre la digue sud sur 700 mètres. L’entrée se trouve légèrement en retrait, abritée entre deux peupliers, avec vue directe sur la Seine.
  • Horaires : libre toute la journée. Attention, en période de grandes marées, certains accès peuvent être humides !
  • À ne pas manquer :
    • Le monument aux pilotes, pivot de la mémoire collective, et ses inscriptions gravées.
    • La rangée sud-ouest, où reposent plusieurs capitaines aux patronymes scandinaves.
    • Les tombes fleuries d’objets marins miniatures, témoignage d’un folklore discret mais bien vivant.
  • Idée balade : Prolongez votre visite jusqu’au « Chemin des Pêcheurs », sentier qui longe la Seine et permet d’observer, à marée basse, les anciennes boucles du fleuve et quelques vestiges d’épaves.

Regards sur un patrimoine à préserver pour demain

La mémoire paisible du cimetière marin de Quillebeuf ne cesse d’évoquer l’attachement profond des habitants à leur territoire et à leur histoire. Véritable livre de pierre et de sable ouvert sur les vents d’ouest, il tisse un lien intime entre le passé portuaire, la culture maritime, les pratiques funéraires et le paysage fluvial normand. Parcourir ces allées, c’est saluer les figures qui font la force des lieux et de leurs mémoires, et comprendre pourquoi, à Quillebeuf plus qu’ailleurs, la mer et le fleuve continuent d’être des compagnons d’éternité.

À ceux qui aiment sortir des sentiers battus, le cimetière marin de Quillebeuf offre un détour émouvant et sans emphase. Un bout du monde, un bout d’histoire, à explorer avec respect et curiosité… le tout, un souffle salin dans l’âme.

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