Sur les traces perdues du port de Quillebeuf : histoires, mystères et balades

20/08/2025

Une histoire liée à la Seine : du Moyen Âge à l’essor industriel

Au carrefour du fleuve, des routes et du vent, l’histoire de Quillebeuf-sur-Seine commence dès l’Antiquité, mais c’est au Moyen Âge que le port prend toute son importance. Dès le XIIIe siècle, on recense dans les chartes la présence d’un port actif, destiné à servir les marchands, les bateliers et à accueillir les denrées — blé, vin, sel — venues de toute la Normandie (Sources : Service régional de l’inventaire de Normandie, arch. dep. Eure).

  • Au XIVe siècle, Quillebeuf devient limite stratégique entre royaume de France et duché de Normandie.
  • La ville figure rapidement sur les cartes des postes de pilotage incontournables pour la navigation sur la Seine : les navires de commerce doivent s’arrêter ici pour un changement de pilote, passage parfois risqué à cause des bancs de sable et des étroits chenaux du fleuve (Musée maritime de l’Eure).
  • Le port vit ses heures les plus animées aux XVIIIe et XIXe siècles, au pic du trafic marchand entre Le Havre, Rouen et Paris. Chaque année, des centaines de navires stoppaient sur les quais de Quillebeuf pour charger, décharger ou attendre la bonne marée.

Parmi les grandes dates, en 1838, le port de Quillebeuf accueille le passage du premier bateau à vapeur reliant Paris à Honfleur ; la région découvre alors la « modernité » qui va peu à peu transformer la logistique fluviale (Marc Duley, Histoire de la Navigation sur la Seine).

Les métiers d’antan du port : pilotes, mariniers et guetteurs

Quillebeuf a abrité des générations de gens du fleuve, dont les métiers forment une petite légende locale.

  • Les pilotes de Quillebeuf : On ne traversait pas le « Pas de Quillebeuf » sans monter à bord avec un pilote local. Ces hommes, experts en courants et en pièges de la Seine, vendaient leurs services dès l’époque de Colbert et formaient une corporation respectée. Ils étaient reconnaissables à leur brassard et leur maison sur le port, surnommée la « Maison des Pilotes » (toujours visible, bien que transformée aujourd’hui).
  • Les « guetteurs de marée » : Chargés d’allumer les feux ou de sonner les cloches à l’approche des bancs de brouillard ou lors des crues, ils étaient un rouage essentiel pour les bateliers.
  • Mariniers et charretiers : Autrefois, le quai et ses entrepôts résonnaient de l’activité des « garçons de port » déchargeant tonneaux, ballots de lin, morues de Terre-Neuve, ainsi que du va-et-vient des chevaux menant les marchandises vers la route d’Honfleur ou du Roumois.

Les enfants « couraient la cale » après l’école, profitant des histoires de naufrages et d’abordages dont regorgeait la mémoire collective. Encore aujourd’hui, il n’est pas rare d’entendre, lors des veillées, quelques anecdotes savoureuses sur de vieux affron­tements entre pilotes de Quillebeuf et ceux de la rive opposée, à Port-Jérôme...

Patrimoine visible : sur les traces des quais et des bâtiments portuaires

Que reste-t-il du Quillebeuf portuaire effervescent ? Il suffit d’arpenter la rue du Bac, de longer l’ancienne cale ou de pousser la porte de l’église Saint-Valentin pour lire la mémoire de la cité dans la pierre et le bois.

  • Les cales et pavés du quai : Là où s’amarrèrent gabares, steamers et bateaux-lavoirs, on distingue encore les traces des anneaux, les pavés irréguliers modelés par les bottes des bateliers. Plusieurs « cales de halage » sont toujours visibles, permettant d’imaginer l’allure animée des quais d’autrefois.
  • La Maison des Pilotes : Aujourd’hui propriété privée, elle demeure une des signatures architecturales du vieux port, avec sa tourelle de guet et son logis en briques polychromes.
  • L’église et les ex-voto marins : Étonnamment, l’église Saint-Valentin abrite un patrimoine insolite : plusieurs maquettes de navires suspendues à la nef, offrandes réalisées par des familles de marins en remerciement de sauvetages ou pour conjurer la peur du fleuve (Inventaire du Patrimoine religieux normand).

Un détail à ne pas manquer : sur certains murs de maisons longeant le port, des repères gravés rappellent les grandes crues du XXe siècle, notamment celle de 1928 et celle de 1947, quand l’eau atteignit parfois près de 2 mètres dans les rues basses (Ville de Quillebeuf, archives municipales).

Quais disparus, vestiges engloutis : légendes et secrets enfouis

Tout port qui se respecte traîne avec lui son lot de récits mystérieux. Quillebeuf n’y fait pas exception. Voici quelques anecdotes glanées auprès des plus anciens :

  1. L’épave du trois-mâts hollandais : une carcasse de navire, visible à marée basse dans les années 1970, aurait appartenu à un navire échoué lors d’un violent orage en 1897. Des pièces de monnaie et des fragments de céramique ont été retrouvés sur place par des riverains curieux (témoignages oraux - association « Mémoire du Fleuve »).
  2. Les souterrains du port : La légende veut qu’un souterrain relie la maison des pilotes à l’église – un passage secret permettait aux officiers de rejoindre un abri sûr lors des grandes conflits, notamment sous la Révolution et l’Occupation. Si aucune fouille n’a pu en confirmer l’existence, plusieurs propriétaires affirment avoir vu d’anciens puits murés jalonnant les caves.
  3. Le mystère du trésor de Louis XVI : On raconte, du côté du quai sud, qu’un lot de pièces d’or aurait été discrètement débarqué ici en 1791, lors de troubles révolutionnaires. Aucun trésor n’a jamais été retrouvé mais, régulièrement, des amateurs munis de détecteurs de métaux arpentent encore la grève, « au cas où »...

Au-delà du pittoresque, ces histoires en disent long sur la vie portuaire d’hier, tissée de solidarité, d’attente, d’angoisse face aux dangers du fleuve, mais aussi de fête lors des passages de bateaux exceptionnels ou lors des grandes foires annuelles.

Vivre le port aujourd’hui : balades, musées et moments à ne pas manquer

Même si les grandes goélettes ont disparu, Quillebeuf garde son esprit de port, ses quais propices à la flânerie et quelques traditions à savourer.

  • Passeur du bac : L’immuable bac de Quillebeuf, existant depuis le XVe siècle, permet encore aujourd’hui de traverser la Seine gratuitement. L’occasion d’un vrai moment hors du temps, avec vue imprenable sur les jetées.
  • La Fête du Fleuve : Chaque été, la commune revit ses heures de gloire lors de ce week-end festif, où montent les chants de marins, défilent des répliques de vieux gréements, et où l’on raconte volontiers les légendes à la veillée. La prochaine édition mettra à l’honneur le centenaire du renflouement du « Capitaine Saudray », célèbre navire sauvé en 1924.
  • Le Musée Maritime de l’Eure (Aizier, à 7km) : Sur la route du Marais Vernier, ce musée à taille humaine présente des objets retrouvés sur les berges et retrace la vie fluviale et portuaire de la région (www.musee-maritime-eure.fr).

Pour qui souhaite approfondir, de nombreux panneaux historiques jalonnent désormais le port et les ruelles, racontant les naufrages célèbres, l’histoire des crues, ou l’évolution de la navigation. Un audioguide est disponible sur demande à la mairie.

Conseils pratiques pour explorer l’ancien port et ses environs

  • Meilleure période : Privilégier le printemps et l’été, lors des hautes marées et des matinées brumeuses qui donnent au fleuve un charme tout particulier.
  • À ne pas manquer : Les « havres de silence » sur la digue nord, très appréciés des photographes ; et, pour les amateurs d’ornithologie, le passage des sternes et hérons sur la réserve voisine du Marais Vernier.
  • Se renseigner sur les marées : La Seine reste un fleuve vivant ! Certaines portions du quai sont inaccessibles à marée haute. Consulter les horaires en mairie ou sur le site de la préfecture maritime.
  • Prolongez la visite : Direction Conteville ou Tancarville pour explorer d’autres sites portuaires anciens, ou embarquer pour une mini-croisière fluviale sur la Seine à la belle saison.

Qu’on s’y rende pour la balade, l’histoire ou la surprise d’un lever de brume, l’ancien port de Quillebeuf garde ce goût de sel et d’audace propre aux petits ports normands. Entre mémoire des bateaux passés et promesses de découvertes, il réserve aux curieux bien plus que quelques secrets…

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