Ruelles, phares et bac sur la Seine : une découverte des lieux phares de Quillebeuf-sur-Seine

04/08/2025

Un port au fil de mille ans d’histoire

Difficile d’imaginer aujourd’hui, au calme du quai Joffre, que Quillebeuf fut autrefois l’un des principaux ports de l’estuaire. Depuis le haut Moyen Âge, le village s’est battu contre la Seine, les envahisseurs et le temps. Cité dans des actes royaux dès 990, Quillebeuf doit beaucoup à sa position stratégique : à l’embouchure, mais côté rive droite, c’est là que les navires se reposaient avant d’affronter ou rejoindre la mer.

  • Au XVII siècle : c’est ici qu’on stationne pour attendre la marée ou embarquer pilotes et lamaneurs, indispensables à la navigation dans l’estuaire piégeux.
  • À la fin du XIX : près de 1200 navires y font escale chaque année (Source : "Le Petit Journal", 1889).
  • Le quai Joffre aujourd’hui : encore bordé de maisons colorées d’anciens armateurs ou de mariniers, quelques entrepôts témoignent de ses riches jours navals.

Petite curiosité : on dit que le roi Louis-Philippe s’est lui-même arrêté à Quillebeuf avant son embarquement pour l’exil en Angleterre, en 1848.

La traversée du bac : l’expérience Quillebeuf

Nulle carte de Quillebeuf ne serait complète sans évoquer son fameux bac. Ici, pas de pont : la liaison avec la rive gauche (Port-Jérôme-sur-Seine, Le Trait) se fait, comme autrefois, en chalands.

  • Le bac actuel, le Quillebeuf II, navigue sans relâche sur 320 mètres de large, emportant voitures, piétons et cyclistes depuis 1973.
  • L'accès est graphique — embarquez gratuitement, la traversée ne dure que 5 petites minutes. Mais quel panorama sur l’estuaire !
  • Le bac de Quillebeuf est l’un des tout derniers bacs à câble gratuits de Seine-Maritime et Eure. Déjà mentionné au XII siècle, il a résisté au percement du pont de Tancarville en 1959.

Un petit conseil : aux beaux jours, attendez la dernière lueur du soir sur le bac, et vous embarquerez dans une peinture vivante où la lumière bleue se mêle au rouge des phares alentour…

L’église Saint-Valéry : un chef-d’œuvre inattendu

Derrière son air rural, l’église Saint-Valéry cache bien son jeu. Classée Monument Historique depuis 1862, elle étonne par l’ampleur de ses volumes et la richesse de son mobilier.

  • Bâtie au XII siècle et maintes fois remaniée, elle mêle les styles roman et gothique.
  • Son clocher octogonal, coiffé d’ardoises, veille sur la ville et sert autrefois d’amer pour les navigateurs.
  • À l’intérieur, place à la rareté : les épais piliers romans, des fresques du XVIII siècle, et surtout un remarquable maître-autel baroque en bois doré, sauvé de la tourmente révolutionnaire.

On y vénère Saint-Valéry, patron des marins, dont les reliques auraient été apportées ici au Moyen Âge pour protéger les pêcheurs des tempêtes. Chaque année, au printemps, une petite procession rappelle cet héritage.

Petit conseil : entrez pendant la lumière du soir. Le vitrail sud, d’un bleu intense, nimbe alors toute la nef d’une atmosphère mystérieuse.

La balade des phares : dans la peau des marins de l’estuaire

Quillebeuf, ce ne sont pas moins de deux phares classés qui gardent encore la Seine :

  • Le grand phare blanc (1835), haut de 18 mètres, veille à l’entrée du port. Il diffuse son faisceau depuis 1862 via une lentille de Fresnel, technologie de pointe à son époque.
  • Le petit phare rouge (Feu antérieur, inauguré en 1862), construit sur la jetée, balise le chenal depuis plus de 160 ans.

Jusqu’en 1981, le grand phare était entretenu par des gardiens ; il est aujourd’hui automatisé. En 1934, lors d’un brouillard épais, un petit pétrolier suisse s’est même échoué juste devant, heureusement sans gravité… Voilà un détail qui amuse encore les anciens !

L’ensemble du site fait l’objet d’un itinéraire de découverte : en longeant le quai puis la rue des Phares, on rejoint la jetée du Feu antérieur, fréquentée par les pêcheurs locaux à la nuit tombée.

Ruelles et maisons de caractère : flâneries au cœur du bourg

Laissez-vous tenter par une promenade le nez au vent. Car à Quillebeuf, chaque rue a son histoire.

  • La rue du Port, pavée, longe d’anciennes maisons de pilotes – celles-ci gardent encore des anneaux d’amarrage incrustés dans la pierre.
  • La rue de la République, axe commercial traditionnel, mène à une série de petits commerces et ateliers d’art, à découvrir à pied (crêperie, boulangerie à l’ancienne).
  • Au détour des venelles, remarquez les anciens abreuvoirs, où jadis on menait chevaux et vaches après la traversée du bac.

Certains murs portent encore les traces des grandes crues de la Seine, marquées à la main ; en 1910, l’eau monta jusqu’à 2,27 m dans certaines caves !

Un patrimoine maritime à vivre : le musée du Pilote

Depuis 2016, le musée du Pilote (au rez-de-chaussée de la mairie) ouvre chaque été ses vitrines pour raconter deux millénaires d’aventures sur la Seine. Modèles de bacs, maquettes de bateaux-pilotes, archives d’armateurs locaux, cartes et photos anciennes y côtoient anecdotes et témoignages de familles. Un bel hommage à la "Corporation des Pilotes" qui fit la renommée du port. Saviez-vous qu’en 1907, 93 pilotes étaient enregistrés à Quillebeuf, un record dans l’histoire du bassin ?

Le musée propose aussi une balade guidée sur le quai, idéale en famille, avec jeux de piste pour les plus jeunes. Entrée libre, en général en été (renseignements à la mairie).

Pépites secrètes et adresses insolites

Parce que Quillebeuf réserve toujours d’heureuses surprises, voici quelques haltes capables d’enchanter les plus curieux :

  • Le Jardin du Presbytère : derrière l’église, il offre des massifs fleuris tenus par des bénévoles, avec vue sur les toits et la Seine.
  • L’auberge de la Marine : une adresse typique où déguster la matelote, recette locale à base de poissons de rivière et de vin rouge (source : "Cuisine normande d’hier et d’aujourd’hui", H. Lecouteux).
  • Le cimetière marin : situé à flanc de colline, il abrite des stèles gravées de navires et d’ancre, témoins de la vie fluviale intense du village au XIX siècle.
  • Le parcours "sur les traces du pilotage" : circuit balisé par l’office de tourisme, ponctué de panneaux expliquant la vie des pilotes, des lamaneurs et des familles du port.
  • L’ancien embarcadère à vapeur : discret, à l’extrémité du quai, il rappelle la période Belle-Époque où la liaison fluviale Quillebeuf-Le Havre battait son plein… jusqu’à 14 départs par semaine en 1898 ! (source : archives départementales de l’Eure).

Autour de Quillebeuf... pour aller plus loin

S’il fallait ouvrir la porte sur l’arrière-pays, quelques détours prolongeront à merveille une escapade ici :

  • La réserve naturelle de l’estuaire de la Seine (accès côté Vieux-Port ou Sainte-Opportune-la-Mare) : 8000 ha de prairies humides, hérons, chevaux Camargue en liberté.
  • Le village de La Mare : typique avec son église à cloche-mur et ses maisons à colombages.
  • Le sentier du Pilote : randonnée balisée au départ de Quillebeuf, vue imprenable sur les méandres du fleuve et le pont de Tancarville.

Rendez-vous à Quillebeuf, entre Seine et histoire

À la croisée des chemins maritimes et terriens, Quillebeuf-sur-Seine reste aujourd’hui ce port d’escale animé, entre souvenirs de pilotes, beautés cachées et scènes de vie authentiques. S’arrêter ici, c’est goûter l’intimité d’une Normandie vraie, forte de ses histoires, heureuse de partager ses secrets… et toujours tournée vers son fleuve indomptable.

Sources principales : Archives départementales de l’Eure ; Histoire de Quillebeuf-sur-Seine, C. de Montherlant ; Inventaire général Normandie Patrimoine ; site officiel de la commune de Quillebeuf-sur-Seine ; "Navigation sur la Seine", revue du patrimoine fluvial.

En savoir plus à ce sujet :